Vendredi 17 juillet 2020 le Président de la République a signé une série d’ordonnances de nomination parmi lesquelles les nominations des 3 nouveaux juges constitutionnels en remplacement d’un juge démissionnaire et de trois juges nommés ou permutés de la cour constitutionnelle à la cour de cassation.

En ce qui concerne ces deux derniers juges nommés à la cour de cassation plus d’un congolais ont évoqué la violation du principe de l’inamovibité des magistrats de siège parmi lesquels les juges de la cour constitutionnelle, même si les heureux promus se réjouissent et même si les concernés ne se sont pas plaints de cette permutation.

En effet, l’inamovibité est définie comme la situation de celui qui ne peut être ôté d’un poste (P. AVRIL et J. GICQUEL, _Lexique de droit constitutionnel_ , 3eme Ed., PUF, Paris, 2012, p.80).

Elle protège le magistrat et lui garantit son indépendance en empêchant toute mesure arbitraire de suspension, rétrogradation, déplacement, révocation (S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques 2017-2018, Paris, Dalloz, 2017, p.1102). Mais elle peut protéger aussi les justiciables en ce que un tribunal ne peut être subitement nommé ou composé dans le but de juger une affaire déterminée dans laquelle l’autorité de nomination ou de permutation a un intérêt particulier.

Ce principe, à la différence des autres pays comme la Mauritanie où il est simplement légal, est de portée constitutionnelle dans notre pays. Ce qui justifie son importance et sa supra-legalité en ce sens qu’aucune loi ne peut y porter atteinte.

L’article 150 alinéa 4 de la constitution du 18 février 2006 telle que révisée et modifiée à ces jours dispose:  » _Le magistrat du siège est inamovible. Il ne peut être déplacé que par une nomination nouvelle ou à sa demande ou par rotation motivée décidée par le conseil supérieur de la magistrature_ « .

Ce principe est par la suite affirmé dans la loi organique n06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats en son article 14 qui dispose :  » _Le juge est inamovible. Il ne peut être déplacé que sur sa demande dûment motivée et acceptée ou suite à une promotion ou encore pour des raisons liées à des fonctions dûment constatées par sa hiérarchie qui en saisit le conseil supérieur de la magistrature_ « .

De ces deux dispositions nous devons ici réfléchir sur la régularité de la permutation des deux juges de la cour constitutionnelle à la cour de cassation. Leur nomination est-elle une nouvelle nomination pouvant justifier leur permutation ? Dans l’affirmative ceci peut justifier la fin de mandat de 9 neuf en principe du juge constitutionnel ?

Les réponses à ces deux questions porteront sur le régime général de l’inamovibité pour tous les magistrats de siège ou juges(1) et un régime spécial pouvant concerner les juges constitutionnels en particulier (2) et enfin nous conclurons.

1. Le régime général de l’inamovibité pour tous les juges

Tel que nous avons évoqué les dispositions traitant le principe de l’inamovibité du juge en droit positif congolais, il ressort que ce principe n’est pas absolu et il souffre bien évidemment des dérogations ou exceptions.

Ces exceptions peuvent être la nouvelle nomination, la demande du seul juge concerné ou la rotation des juges décidée et motivée par le conseil supérieur de la magistrature.

Ce genre d’exceptions sont aussi reconnues par le conseil constitutionnel français qui dans ses récentes décisions a jugé que la permutation des juges par le président de la cour d’appel dans toutes les juridictions de son ressort( Déc. n° 93-336 DC du 27 janv. 1994) ou encore il a reconnu la possibilité de déplacement ou de permutation des juges ayant moins de 5 ans dans le tribunal où ils ont effectué des services effectifs (Déc. n° 80-123 DC du 24 oct. 1980).

Ainsi donc, se référant à ces éventuels moyens de dérogation au principe de l’inamovibité des juges on peut dire que les deux juges de la cour constitutionnelle ont eux-mêmes fait cette demande, ou que leurs nominations à la cour constitutionnelle peut être vue comme une une nomination nouvelle, pour ne citer que ces deux possibilités.

Ici il est improbable qu’un juge à la plus haute juridiction du pays demande d’être relégué, ça relève de l’extraordinaire et plus précisément de  » *l’extracongolais* « …

Mais aussi, une nouvelle nomination ne peut en aucun cas être une nomination de relégation. Voilà pourquoi sans contredire la disposition de la constitution, l’article 14 de la loi sur les statuts des magistrats précitée vient affirmer le fait que la nouvelle nomination ne peut être qu’une promotion, or il y a pas, de notre point de vue, promotion dans la magistrature quand on quitte la cour constitutionnelle pour la cour de cassation sauf si on en devient président par exemple.

Pour ces raisons ces permutations ne trouvent pas de justification dans le régime général de ce principe si ces juges permutés ne sont pas dans les conditions de promotion, en ce qui est de tous les juges sans leur spécification selon les juridictions.

Ce qui nous pousse à aller voir dans un éventuel régime spécial des juges de la cour constitutionnelle.

2. Le régime particulier de l’inamovibité pour les juges constitutionnels

L’article 11 de la loi du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle dispose :  » _Les membres de la cour sont régis par un statut particulier_ « .

Il ressort de cette disposition de la loi qu’en dépit du statut des magistrats en général en vertu de la loi y relative citée ci-haut, les magistrats, mieux les juges constitutionnels sont eux en outre régis par un statut particulier.

Ce statut particulier est posé par l’ordonnance n° 16-070 du 22 août 2016 portant dispositions relatives au statut particulier des membres
de la Cour constitutionnelle.

Relativement à la question de l’inamovibité des juges particulièrement en ce qui est de leur nomination, l’article 6 alinéa 2 de cette ordonnance dispose :  » _Durant leur mandat, ils ne peuvent être nommés aux fonctions incompatibles prévues à l’article 31 de la loi organique_ « .

Rappelons ici ces fonctions incompatibles prévues par la loi organique relative à la cour constitutionnelle. Il s’agit de: membre du gouvernement, mandat électif, emploi public, mandataire public et appartenance à un parti ou un regroupement politique ou un syndicat.

Alors, il y a lieu de s’interroger afin de savoir si la nomination en tant que juge dans une autre juridiction en plein mandat est aussi interdite, car en cela devrait consister l’intervention de l’application ou de l’évocation de l’inamovibité des juges.

En effet, le législateur n’a pas clairement établi que la nomination du juge constitutionnel à une autre juridiction serait incompatible et par conséquent interdite en plein mandat.

Par ailleurs, parmi les fonctions incompatibles précitées l’une d’elles semble être plus englobant et non précis et non limité. Il s’agit de la nomination à tout emploi public.

En effet, lorsque nous interrogeons le lexique de droit constitutionnel précité, P. AVRIL et J. GICQUEL en parlant d’emploi public qu’ils assimilent aux fonctions publiques, évoquent également la qualification d’emploi public ou fonction publique dans la nomination des magistrats en France.

Se fondant sur cette doctrine, nous pouvons aussi comprendre qu’être magistrat ou juge est assimilable à être un employé public car engagé par l’Etat; ainsi donc les juges constitutionnels sont aussi des employés publics. Suivant cette logique et en vertu du statut particulier des juges de la cour il est donc illégal toute nomination d’un juge constitutionnel en plein mandat à une autre juridiction.

S’il faut assimiler « emploi public » à « fonction publique », cette dernière prise au sens large en droit administratif est l’ensemble du personnel permanent de l’Etat et des collectivités territoriales, composé des catégories d’agents relevant des régimes juridiques variés.(S. GUINCHARD, _op. cit._ , p.979).

Il y a lieu de constater que être juge dans une juridiction autre que la cour constitutionnelle où le service n’est pas permanent car limité à 9 ans en principe, est une fonction permanente en vertu du fait que l’on est juge constitutionnel que pour un mandat de 9 ans en principe ou de 3 ans exceptionnellement mais une fois nommés juge dans une autre juridiction on devient juge de carrière donc sous un emploi permanent

Mais qu’en dit la pratique congolaise en la matière ?

En dépit de cette interdiction de nomination d’un membre de la cour constitutionnelle à tout emploi public, le juge VUNDUAWE TE PEMAKO en plein mandat de juge constitutionnel, il a été nommé président du conseil d’État en 2019.

Ce précédent dans la pratique institutionnelle congolaise, même ne s’inscrivant pas dans la logique du législateur, peut donc justifier le fait que être juge n’est pas un emploi public au sens strict et ainsi ne peut empêcher la nomination du juge constitutionnel à une autre juridiction par une promotion car _in casus specie_ quitter le statut de simple membre de la cour constitutionnelle pour devenir président d’une haute juridiction administrative peut s’interpréter comme une promotion et ainsi se conformer à l’exception posée au principe de l’inamovibité du juge, entendue ici la nouvelle nomination ou promotion.

Ainsi donc, les deux juges en question étant nommés nouvellement comme des présidents à la cour de cassation ont vu leur carrière de juge être promue et de ce fait comme pour le précédent cas, on peut dire que le droit a été fait et déjà créé.

CONCLUSION

De tout ce qui précède il y a lieu de comprendre qu’à chaque principe suffit une exception. Les juristes aiment dire que l’exception confirme la règle.

Ainsi donc, reconnaissant les exceptions au principe d’inamovibilité du juge dont particulièrement la nouvelle nomination, il faut donc que l’exception puisse respecter les éléments de sa consistance et en cas d’espèce le juge qui, par une promotion, quitte une juridiction vers une autre n’est nullement fauché dans son inamovibilité.

En ce qui est spécifiquement des juges de la cour constitutionnelle l’imprécision de la notion d’emploi public peut permettre à ce que n’étant pas exclue la nomination à une autre juridiction si l’on choisit de faire une interprétation stricte de la notion comme cela s’est avéré par un précédent qui semble faire la pratique institutionnelle actuellement, un juge constitutionnel pourra donc en plein mandat être nommé à une autre juridiction sans porter atteinte à son inamovibilité si et seulement si cette nouvelle nomination consiste en une promotion pour le juge, ou qu’elle soit demandée par le juge lui-même en vertu du régime général de la notion de l’inamovibité des juges sans distinction. Cette justification est nécessairement insecurisant juridiquement et très favorable politiquement.

Toutefois, nous pensons que de _lege feranda_ il sera mieux que cette pratique devenue institutionnelle soit expressément légalisée en ce sens que le régime particulier des membres de la cour constitutionnelle devra préciser la notion de l’inamovibité des juges (concept qui ne figure nulle part dans l’ordonnance relative au statut particulier des membres de la cour) soit préciser car tout portera à croire qu’en cette matière il sera fait application du régime général ou du statut des magistrats en général.

Ce qui pourra constituer une insécurité juridique car les juges constitutionnels risquent de devenir des magistrats à la solde des politiques car selon que le voudra le Président de la République, face à une affaire dont il voudra que la cour puisse décider en sa faveur, il peut faire promotion à un juge constitutionnel afin de pouvoir nommer les personnes acquises à son sort.

Cette précision dans les textes va également consister à faire respecter la notion de mandat sinon il ne servirait à rien de dire que les membres de la cour constitutionnelle ont un mandat de 9 ans s’ils peuvent, suivant des astuces politiques s’inscrivant dans la faiblesse des textes, être permutés à une autre juridiction à tout moment.

MUKADI KABEYA André
_Chercheur et écrivain en droit, président de la CIC et membre de l’ASC._

Contact : 0823668576

By 24news

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