« Ce jour-là, le 9 avril 1994, je quittais mon pays le Rwanda, évacué avec ma mère et une partie de ma famille par l’armée française.

3 jours auparavant, je vivais le pire jour de ma jeune existence.

Ce 6 avril 1994 fut le jour où je devenais orphelin de père, de la pire manière que l’adolescent de 18 ans que j’étais ne pouvait imaginer.

Ce jour-là mon père s’est rendu tôt le matin à Dar es Salam en Tanzanie, pour un sommet sur la paix au Burundi.

Sur les coups de 20h30, mes cousins Aimé et Eric et moi-même sortions de piscine quand nous avons entendu le bruit de l’avion qui amorçait son atterrissage pour le retour.
Notre résidence privée de Kanombe se trouvant dans l’axe de la piste de l’aéroport, l’avion s’apprêtait à passer au dessus de nous.

Nous avons alors aperçu le Falcon 50 de la présidence du Rwanda par ses lumières à travers les arbres de notre jardin.

Soudain, nous avons vu une grosse trace lumineuse qui partait de la colline voisine de Masaka, au Sud-est de notre résidence, et une forte détonation s’en suivit.
L’avion mis alors les pleins gaz et changea de trajectoire.

En une fraction de seconde, un autre projectile lumineux parti quasi du même endroit que le premier, et cette fois-ci l’avion fut touché et pris feu.

Tout de suite après, il explosa en plein ciel, et les débris en feu s’échouèrent dans notre jardin.
Plus tard, mes deux cousins me diront que je me suis écrié en appelant Papa.

C’est ainsi que j’ai vu mon père nous être arraché atrocement de mes propres yeux.

Avec des militaires de la garde nous avons alors commencé à chercher les corps.

Au sol, nous trouvions éparpillés des morceaux de chair humaine, certains encore brûlants.
L’odeur du kérosène qui se mélangeait à celle de chair humaine qui se consumait était insupportable.
C’était une scène d’horreur. J’ai mis plusieurs années pour que ma mémoire olfactive s’en détache.

C’est dans ces circonstances que nous avons trouvé les premiers corps, jamais entiers, sans possibilité de les identifier.

Soudain, à la lueur d’une lampe torche, un soldat s’écria « le Général ! »
Nous nous sommes alors tous précipités et avons trouvé le corps de mon père allongé dans une plante fleurie de son propre jardin.

J’étais comme anesthésié par cette scène d’horreur où je voyais le corps de mon père inerte, et autour de moi les militaires de la garde se sont tous mis à lui donner un salut d’adieu, certains en sanglot et d’autres complètement perdus.

C’est alors qu’une conscience que je ne m’explique encore aujourd’hui m’a emmené à prendre un appareil photo pour immortaliser ce que nous vivions.
C’est ainsi que j’ai pris la seule photo du corps de mon père et toutes les photos des autres corps et des morceaux de la carlingue de l’avion.

De tous les corps, celui de mon père était le seul à pouvoir être reconnaissable par le visage. Pour les autres corps, il a fallu chercher les pièces d’identité dans leurs vestes, ou, comme ce fut le cas pour le président Ntaryamira du Burundi, demander à la famille la couleur du costume ou de la cravate.

Je suis alors retourné à l’intérieur de la maison retrouver ma mère qui priait dans la chapelle avec mes deux sœurs et mes cousines, et je lui ai dit que nous venions de trouver le corps de Papa.

Mes cousins, les militaires et moi avons alors transporté tous les corps dans la chapelle ardente que ma mère et les filles venait de dresser dans le séjour principal de notre maison. Mon père placé au centre, son jeune frère et homologue burundais à ses côtés, et leurs compagnons d’infortune avec eux.

Ce jour-là, onze autres familles rwandaises, burundaises et françaises, devenaient orphelines comme nous.

Au delà de cette considération personnelle, cet attentat fut le déclencheur de la pire tragédie que l’humanité ait connu dans le 20ème siècle, et les conséquences se font encore sentir aujourd’hui avec la désolation que fait subir le pouvoir de Kagame au peuple congolais. »

« Ce 6 avril 94 je perdais un père, mais le peuple rwandais perdait un protecteur et garant de l’unité nationale, et la RDC (à l’époque Zaïre) perdait un rempart.

Ce qui interpelle, c’est le silence de la communauté internationale sur cet attentat que même l’ ONU qualifie d’élément déclencheur du Génocide rwandais car aucune internationale n’a été diligentée, et le combat des familles pour que justice soit rendu n’a jamais été soutenu par les États.

Il y a quelques années, un chef d’État ami à mon père me dira : « mon fils, si ton père et le président burundais n’étaient pas africains, il y aurait eu une enquête internationale ».

Cette phrase d’impuissance d’un chef d’Etat africain ne doit pas être une fatalité. Les consciences doivent toutes se réveiller afin de faire nôtre le combat pour la vérité et la justice, et mettre un coup d’arrêt à l’écriture de notre histoire par d’autres. »

Jean-Luc Habyarimana

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